Après la disparition d’une joggeuse dans la Vienne, jeudi 10 avril, France 3 Bourgogne a recueilli les témoignages de plusieurs femmes qui vivent avec la crainte d’être agressées ou harcelées lors de leurs joggings.
Début 2025, avant que les jours rallongent, Louise quitte son domicile parisien pour une session de jogging au petit matin. «Il faisait encore nuit à cette heure-là, alors il y avait peu de monde dans les rues«, relate la jeune femme, 31 ans, que nous avons rencontrée le 13 avril à Dijon (Côte-d’Or). «Peu de monde«, mais tout de même suffisamment pour qu’elle soit suivie.
«Je courais quand un SDF a commencé à me courir après«, se souvient-elle. «Il n’avait pas l’air dans son état normal, peut-être qu’il pensait que c’était un jeu, mais moi je ne l’ai pas du tout vécu comme ça. Il m’a suivi pendant des mètres, presque un kilomètre. J’ai dû finir par m’arrêter de force et entrer dans un hôtel parce qu’il n’arrêtait pas de me courir après.» Un incident dont elle se dit «choquée», au point de «remettre ses habitudes» en question.
Après ça, j’ai essayé de ne plus passer par des parcs où il n’y a personne quand il ne faisait pas encore jour le matin.
Louise,joggeuse suivie pendant une session de running
Comme Louise, elles sont nombreuses à avoir subi des remarques déplacées, du harcèlement voire des agressions pendant qu’elles couraient. S’il est diffile d’établir des chiffres précis, l’Union Sport et Cycle estimait, dans un sondage rendu public le 11 avril 2025, à 75% le nombre de femmes déjà «concernées par des situations problématiques, témoignant des freins sécuritaires qui persistent» lors d’un jogging. Avec des conséquences parfois dramatiques : dans l’enquête sur la disparition d’une joggeuse dans la Vienne, le 10 avril dernier, la piste de la «mauvaise rencontre» est privilégiée.
Des faits divers qui ne sortent jamais vraiment de l’esprit des coureuses. «Tout ce qu’on entend à la télé, ce n’est pas rassurant«, juge Kaouthar, 56 ans. «Avant, j’allais au lac Kir toute seule, l’après-midi ou le matin, mais plus on avance dans le temps, plus on se dit qu’il y a des psychopathes partout.» Par conséquent, elle court en permanence avec «son téléphone sur [elle]» comme «moyen de sécurité«. Et surtout, jamais seule, «parce qu’on ne sait jamais«.
Aurélie, 25 ans, part elle aussi en binôme – en général, avec sa sœur Flavie. Lorsqu’elles ne peuvent courir ensemble, elles s’envoient systématiquement «un SMS, et s’il n’y a pas de réponse une heure après, on commence à s’inquiéter«. «Sur les applis de course qu’on utilise, on reçoit aussi une notification quand une copine part courir«, ajoute la jeune femme. «On peut voir son tracé GPS en temps réel, et quand elle a fini sa course, on peut voir le point d’arrivée. Si on remarque qu’elle est immobile à un moment donné, cela peut déjà être une source d’alerte.»
«Je préviens toujours quelqu’un lorsque je vais courir et je lui dis où je vais», ajoute Eva, âgée de 24 ans. «J’essaie également de courir aux heures où je sais qu’il y a du monde autour, pour éviter de me retrouver seule avec des personnes qui pourraient me déranger. Et je reste toujours vigilante, j’ai mon téléphone avec un numéro d’urgence prêt à être composé… C’est un réflexe de survie.»
Cette inquiétude constante est partagée par les femmes que nous avons interrogées. «Je suis toujours très attentive quand je sors le soir aux heures où il y a moins de monde dans les rues», affirme Elise, 24 ans. «Je m’attends à ce qu’un homme louche vienne m’importuner ou me harceler. Je modifie ma façon d’être pour éviter les problèmes.» Pour cette passionnée de course, qui court plusieurs fois par semaine, pas question pour autant de succomber à la paranoïa : «Si on ne pense qu’à ce qui pourrait nous arriver, on ne sort plus.»
J’essaie de ne pas trop y penser parce que je ne veux pas me faire peur.
Justine, quant à elle, refuse de «changer [son] comportement», malgré les comportements inappropriés auxquels elle a déjà été confrontée. «Les regards insistants par beau temps, les sifflements, les remarques quand on court en brassière…», énumère-t-elle. «Tout cela, je n’y prête pas trop attention, car je ne veux pas freiner ma pratique. J’aime courir et je ne vais pas changer pour ça, donc je passe outre.»
► Avec Alexis Delacour et David Segal
Face aux harcèlements et agressions potentiels, l’hypervigilance des joggeuses est devenue un réflexe de survie. De nombreux témoignages mettent en lumière les situations problématiques auxquelles les femmes sont confrontées lorsqu’elles pratiquent la course à pied. Louise, par exemple, a été suivie de force par un individu, ce qui l’a contrainte à s’arrêter dans un hôtel pour échapper à son poursuivant. Cet incident l’a profondément choquée, remettant en question ses habitudes de jogging matinal dans des endroits déserts.
Selon une étude de l’Union Sport et Cycle, 75% des femmes ont déjà été confrontées à des situations problématiques lors de leurs sessions de running, révélant ainsi les freins sécuritaires persistants dans ce domaine. Ces risques peuvent parfois avoir des conséquences dramatiques, comme en témoigne l’enquête sur la disparition d’une joggeuse dans la Vienne, où la piste d’une mauvaise rencontre est envisagée.
Pour se protéger, de nombreuses joggeuses ont adopté des mesures de précaution. Kaouthar, par exemple, ne court jamais sans son téléphone, considéré comme un moyen de sécurité. Elle évite également de s’aventurer seule dans des endroits isolés, privilégiant les parcours fréquentés. De même, Aurélie et sa sœur Flavie s’envoient mutuellement des messages lorsqu’elles courent séparément, afin de s’assurer de leur sécurité.
La peur et l’inquiétude sont des sentiments récurrents chez les joggeuses, comme le souligne Elise, qui se sent en hypervigilance lorsqu’elle court le soir. Malgré ces craintes, ces femmes passionnées de course à pied refusent de renoncer à leur pratique. Justine, par exemple, préfère ignorer les comportements déplacés auxquels elle peut être confrontée, afin de ne pas laisser la peur dicter sa manière de vivre.
L’hypervigilance des joggeuses est donc devenue une réalité quotidienne, les contraignant à adapter leur pratique pour se protéger des harcèlements et agressions potentiels. Malgré ces défis, ces femmes restent déterminées à poursuivre leur passion pour la course à pied, refusant de laisser la peur les empêcher de vivre pleinement leur vie. «L’hypervigilance des joggeuses face aux harcèlement et agressions potentiels est un réflexe de survie.» «J’aime courir et je ne vais pas changer pour ça, donc je passe au-dessus.» – Avec Alexis Delacour et David Segal
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