Mounir Boutaa a été condamné vendredi pour avoir brûlé vive leur mère, le 4 mai 2021. Quatre ans après ce féminicide, les grands-parents de la victime ont pris en charge les trois enfants de Chahinez Daoud.
"Comment tu feras à Mounir, quand il viendra ?" Sur l’écran de la salle d’audience, un garçon esquisse des mouvements de boxe, un coup de pied, et lâche, après avoir bombé le torse : "Je lui ferai comme ça". Chahinez Daoud sourit avec tendresse et souffle à son fils aîné, alors âgé de 12 ans : "Viens, bébé, viens". L’image se fige. La vidéo a été prise quelques semaines avant que Mounir Boutaa ne brûle la jeune trentenaire vive, le 4 mai 2021. Quatre ans après ce féminicide, le procès du quadragénaire s’est achevé devant la cour d’assises de la Gironde, vendredi 28 mars, sur une condamnation de l’accusé à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans. Aucun des trois enfants de la victime, aujourd’hui âgés de 16, 11 et 8 ans, n’a assisté aux débats. Leur vie et leur reconstruction se poursuivent désormais auprès de leurs grands-parents maternels, en France, où ils sont réunis.
Yannis et Myriam, nés d’une première union, puis Rachid, né en 2016, étaient la joie de Chahinez Daoud, décrite à la barre par ses proches comme "une maman exceptionnelle". Lorsqu’elle rejoint Mounir Boutaa en France, quelques mois avant son accouchement, seule sa fille l’accompagne. Son mari a promis d’entamer les procédures pour faire venir Yannis, mais revient sur sa parole et entrave la procédure de regroupement familial.
Le fils aîné de Mounir Boutaa, issu d’une première union, qui a vécu épisodiquement avec les deux plus jeunes, a relaté à la barre un quotidien gangrené par la violence. Une voisine se rappelle des enfants pieds nus dans le jardin, effrayés après une dispute. Myriam lui avait évoqué le souvenir d’un couteau. "C’était des enfants perturbés, on sentait qu’ils étaient tristes", a abondé une amie de Chahinez Daoud. Rachid, le dernier, le "chouchou", collé à sa mère, "ne rigolait jamais" et "se cachait derrière elle".
Après l’incarcération de Mounir Boutaa en 2020 pour violences conjugales, le foyer familial retrouve un semblant de sérénité. Mais cette parenthèse est de courte durée. A sa sortie de prison, quelques mois plus tard, la menace reprend de plus belle. Un souffle d’espoir renaît pourtant avec la venue attendue de Yannis en France, le 3 mars 2021. Une nouvelle qui n’a pas réjoui Mounir Boutaa, au contraire. "Dès qu’il est arrivé, elle a changé. Ce soir-là, elle a fait des burgers uniquement pour son fils", confiera-t-il au psychologue.
Ce 4 mai 2021, Chahinez Daoud part chercher ses deux cadets à l’école, après avoir passé l’après-midi avec Yannis. Son fils s’allonge sur son lit lorsque Mounir Boutaa surgit, en rage et lui demande partir. Il s’apprête à incendier le domicile. Yannis s’enfuit, pieds nus, jusqu’à l’école. Un peu plus tard, il cherche à joindre sa mère. Il emprunte un téléphone, compose le numéro. Pas de réponse. Les policiers le retrouvent et l’emmènent auprès de trois psychologues, avec son petit frère et sa sœur.
"On m’a expliqué que maman était morte. Ma sœur a beaucoup pleuré." Yannis, le 5 mai 2021 aux enquêteurs
Il relate les projets de voyage dont lui avait parlé sa mère, sans cet homme qu’il n’a "jamais aimé". "Avant que ma maman ne décède, je lui avais fait un gros câlin, elle s’était disputée avec Myriam", confie-t-il, avant de conclure : "Papa est décédé brûlé et maman aussi". Leur père biologique, le premier mari de Chahinez Daoud, avait péri dans un incendie sept mois plus tôt, en Algérie.
Après l’assassinat de leur mère, les enfants de la victime sont placés en foyer d’urgence, puis en famille d’accueil. Il faut attendre six mois avant que leurs grands-parents, les parents de Chahinez Daoud, ne puissent venir en France. Mais une fois sur place, la réunion tant espérée tarde encore. "Ce qui a été compliqué à vivre pour les enfants, c’est notamment ce temps d’attente", explique à franceinfo Julien Plouton, avocat des parents de Chahinez Daoud et des deux aînés de la victime. Pendant plusieurs semaines, seules des visites médiatisées leur sont accordées.
"Les enfants ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas habiter chez leurs grands-parents". Julien Plouton, avocat de la famille de Chahinez Daoud à franceinfo
Pour Clotilde Bounin, ancienne juge des enfants et juge aux affaires familiales, cette attente s’explique par la nécessité d’évaluer la situation : "Le juge a sans doute voulu s’assurer que les grands-parents étaient en capacité de s’occuper d’eux." Dans ces cas, explique-t-elle, "la priorité est donnée aux relais familiaux, à condition qu’ils soient jugés fiables". Une enquête sociale est donc diligentée. "On regarde les conditions matérielles, mais surtout leurs capacités psychiques, s’ils sont en capacité de faire face au traumatisme, de mettre en face les suivis nécessaires et de répondre aux questions des enfants", détaille la magistrate.
Pendant ce temps, les parents de Chahinez Daoud tentent d’organiser l’accueil. "Dès septembre 2021, Kamel [le père] nous a contactés", relate Sylvaine Grevin, présidente de la Fédération nationale des victimes de féminicides (FNVF), qui a épaulé la famille durant le procès. "Mais il fallait un logement. Pour les familles venant de l’étranger, c’est encore plus complexe." Grâce au réseau de la FNVF, ils finissent par obtenir un appartement en novembre, mais vide de tout mobilier. Une lettre à l’Etat et une pétition lancée par la fédération ont permis de l’équiper.
"Ils sont détruits et perdus quand ils arrivent en France. Au début, ils n’avaient aucun accompagnement." Sylvaine Grevin, présidente de la Fédération nationale des victimes de féminicides à franceinfo
En parallèle, Julien Plouton mène un combat administratif de longue haleine. Il demande la déchéance de l’autorité parentale de Mounir Boutaa. "A l’époque, il n’y avait rien de prévu de ce côté-là, il fallait attendre le procès criminel pour que la déchéance soit prononcée, ce qui était aberrant", déplore-t-il. Depuis une circulaire du 18 mars 2024 (document PDF), la suspension est automatique lorsque le parent est "poursuivi ou condamné pour crime commis sur l’autre parent".
L’avocat relate avoir ensuite dû «taper du poing sur la table» face au juge des enfants, qui refusait de traiter en priorité la demande de placement des enfants auprès de leurs grands-parents, estimant, selon lui, «qu’il n’y avait aucune raison d’en faire un cas urgent». Face à cette inertie, il se tourne vers la préfecture, qui, dit-il, se montre «irréprochable». En quelques jours, la situation se débloque : Yanis, Myriam et Rachid peuvent rejoindre leurs grands-parents, qui sont alors en France depuis deux mois et demi. Ils bénéficient rapidement d’un suivi psychosocial. La sœur de Chahinez Daoud devient aussi leur tutrice, au sein d’une famille attentive.
Pourtant, malgré cet entourage protecteur, il leur est impossible d’échapper au poids de leur histoire, un fardeau encore alourdi par l’exposition médiatique du procès. Même loin du tribunal, ils restent confrontés aux échos de cette tragédie et portent aussi les stigmates d’une famille disloquée. Sylvaine Grevin rappelle que «l’auteur du féminicide brise l’intégralité de la cellule familiale», alors que les témoignages bouleversés des proches se sont succédé à la barre toute la semaine.
Seul enfant issu de l’union entre Mounir Boutaa et Chahinez Daoud, Rachid bénéficie, à ce titre, d’un accompagnement particulier. Une avocate et une représentante ad hoc ont été désignées pour veiller à ses intérêts. «Cela permet de compenser l’absence de représentation, notamment lorsque l’un des parents, voire les deux, sont impliqués dans les faits», explique la magistrate Clotilde Bounin.
A la barre, sa représentante a dressé le portrait d’un enfant «très résilient», qui «aime les mathématiques, et est dans le groupe le plus fort en français». Lorsqu’elle a abordé la question du procès à venir, «il m’a tout de suite dit qu’il ne voulait plus voir son père, qu’il souhaitait qu’il reste très longtemps en prison». Rachid a ensuite prononcé ces mots : «Je veux que mon père tombe dans le coma, qu’il perde connaissance, que j’oublie qu’il existe.» Lors de l’audience civile, la justice a accédé à sa demande de ne plus porter le nom de Boutaa. Son nom est désormais Daoud.
*Les prénoms ont été modifiés.
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