Je suis reconnaissant de pouvoir travailler et subvenir aux besoins de ma famille ici», confie-t-il. Vadym Redko garde malgré tout un espoir de retour en Ukraine un jour, mais sa priorité reste désormais de reconstruire sa vie en France. TÉMOIGNAGE. «Je suis reconnaissant», ancien procureur d’une cour d’appel en Ukraine, apprécie le soutien de ses amis français qui lui ont permis d’avoir un réfrigérateur, un micro-ondes et la table sur laquelle il écrit. Interrogé sur son état, il met du temps à répondre, le regard perdu au loin, regrettant de ne plus faire de projets à long terme. Vivant seul dans un petit studio, il ne peut pas accueillir ses enfants le week-end à cause de la distance et du manque de place. Sa fille aînée travaille dans un restaurant local et ses deux plus jeunes apprennent le français à l’école. Comme la plupart des réfugiés ukrainiens, Vadym n’a pas trouvé d’emploi correspondant à ses qualifications malgré sa bonne maîtrise du français. Il a suivi toutes les formations disponibles mais se retrouve à trier le courrier à La Poste. Ses connaissances approfondies en droit russe et ukrainien ainsi que dans les doctrines militaires des deux pays pourraient pourtant être utiles dans un service de renseignement. Originaire de Marioupol, ville dévastée par les bombardements russes, Vadym a dû démissionner de son poste de procureur sous la pression des autorités ukrainiennes. Incapable de retourner dans sa ville d’origine désormais sous contrôle russe, il se sent exclu et cherche à reconstruire sa vie en France. Malgré les discussions sur la paix qui occupent ses pensées, Vadym constate les tensions persistantes en Ukraine, exacerbées par des questions identitaires et linguistiques. Il se questionne sur les politiques linguistiques du pays et sur la division entre les régions russophones et ukrainiennes. Pris entre deux cultures et deux langues, Vadym peine à trouver sa place et espère que la fin des combats apaisera les tensions, même si le chemin vers la réconciliation semble long. TÉMOIGNAGE: «Je suis reconnaissant», ancien procureur d’une cour d’appel en Ukraine, il trie le courrier à la Poste en France.

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Written by Emmanuel Bouard

Vadym Redko was one of the most influential magistrates in Ukraine before the Russian invasion. Now living in Lorraine with his family for three years, he will never be able to return to his country. Abandoned by the Ukrainian authorities, he is also targeted by the occupier.

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On the only chair in his apartment sits a dark blue vest in the colors of La Poste. Vadim Redko rejoices: «I have completed my probation period, I am officially on a permanent contract since February 8«. The former prosecutor of the Court of Appeal of Marioupol sorts crates of mail in Pagny-les-Goins, between Metz and Nancy: «it’s like in a factory, assembly line work. The mail arrives in bins and for eight hours we have to package it«. 35 hours a week for 1500 euros per month. He pays his rent and no longer receives any assistance under temporary protection. His goal now: «to obtain a residence permit, thanks to my permanent contract«.

All the Ukrainians I know in France hold unskilled jobs, in housekeeping, maintenance or physical work for men

Vadym Redko, former prosecutor of the Court of Appeal of Marioupol

We had met him when he arrived in France in the spring of 2022. On vacation in Poland at the time of the Russian invasion, he escaped the destruction of Marioupol and found refuge in Lorraine in Pont-à-Mousson, thanks to a bus chartered by the city.

Three years later, the CV of the former senior magistrate has gained about ten lines. Delivery driver, market gardener, supermarket cashier, mason, installer of photovoltaic panels… The father of four has taken up all offers. The man who lived with his wife and children in a luxurious villa in the Vostok neighborhood of Marioupol has lost everything. «I am very grateful to France for the assistance it has provided to me, my family, and myself. L’ancien fonctionnaire exprime sa gratitude envers ses amis français pour leur générosité en lui offrant un réfrigérateur, un micro-ondes et une table. Il vit dans un studio isolé, loin du centre, et ne peut pas accueillir ses enfants le week-end. Malgré sa maîtrise du français, il n’a pas trouvé d’emploi à la hauteur de ses qualifications et se contente de trier le courrier. Sa ville natale, Marioupol, a été détruite par les bombardements russes et fait désormais partie de la Russie, mettant sa vie en danger.

La situation de Vadym Redko reflète la tension permanente en Ukraine, exacerbée par la guerre de 2014. Les différences linguistiques et culturelles entre les régions russophones et ukrainiennes créent un profond clivage. Les décisions politiques en faveur de l’ukrainien ont renforcé ce clivage, laissant de nombreux citoyens russophones se sentir exclus et perdus. Vadym se sent pris au milieu de cette crise identitaire et ne peut pas rentrer chez lui tant que ces questions restent sans réponse.

La fin des combats apaiserait la population, mais la reconstruction des relations entre les différentes parties de l’Ukraine prendra du temps. La guerre a laissé des cicatrices profondes et le chemin vers la réconciliation sera long.

La ville de Marioupol était une destination touristique très prisée des Ukrainiens avant la guerre. Elle a été en très grande partie détruite par les bombardements russes. Elle a été annexée par la Fédération de Russie.

Quand on demande à Vadym Redko quel est son auteur préféré, la réponse fuse : «Boulgakov ! Le Maitre et Marguerite, un chef-d’œuvre de la littérature mondiale«. Né à Kiev, russophone, l’écrivain né en 1891 est mis à l’honneur par un musée dans sa ville natale, et deux autres à Moscou.

Banni par les autorités ukrainiennes actuelles en raison d’écrits parus il y a un siècle et critiquant le nationalisme, l’auteur n’a jamais été interdit de son vivant en URSS ! Alors que sa critique féroce du régime aurait dû lui valoir le goulag : «ce que les Soviétiques n’ont jamais osé faire, l’Ukraine le fait aujourd’hui» ironise une sociologue spécialiste des deux pays.

À 11h30, le procureur est obligé de mettre fin à l’entretien. Il doit se changer, et prendre le bus pour se rendre au travail, qui commence à 13h21 précises. Vadym sourit une dernière fois : «je ne comprends pas très bien cet horaire«.

Vadym Redko était l’un des magistrats les plus influents d’Ukraine avant l’invasion russe. Réfugié en Lorraine avec sa famille depuis trois ans, il ne pourra jamais retourner dans son pays.

Abandoned by the Ukrainian authorities, he is also in the sights of the occupier. His future is in France, and nowhere else: «unlike almost all refugees who want to return, I cannot, I no longer have a place there
The absurd situation experienced by Vadym Redko perfectly illustrates the climate of tension that has been present in Ukraine since its independence in 1991. This tension has had an impact on the local refugee community in Pont-à-Mousson, consisting of about thirty families. The conversations in the WhatsApp group are in Ukrainian, even though everyone speaks Russian.
Peace? «It’s the number one topic of discussion among us,» sighs Vadym, who refuses to elaborate further. Ukraine is going through a deep identity crisis, which did not begin with the war in 2014 but has been exacerbated by the Russian invasion. Since gaining independence in 1991, two visions of the future have clashed on Ukrainian soil. The decisions made by the country’s authorities in favor of the Ukrainian language and identity have alienated many Russian-speaking citizens who bitterly experience the marginalization of their language and culture. Many Russian-speaking Ukrainians feel caught between a rock and a hard place, questioning their place in society. Vadym is one of them.
Why establish Ukrainian as the sole language of literacy when the majority of the population speaks Russian? Why ban the use of Russian in government offices, including courts, as early as 2018? How can the recent ban on books by Russian authors or written in Russian by Ukrainians be justified? Why can taxi drivers no longer listen to the Russian songs they used to play for their clients on the radio? Faced with these unanswered questions, Vadym Redko cannot return home. While the end of the war and conflict would bring relief to the population, bridging the gap between regions and populations will take generations.
When asked about his favorite author, Vadym Redko’s response is immediate: «Bulgakov! The Master and Margarita, a masterpiece of world literature.» Born in Kiev and a Russian speaker, the writer born in 1891 is honored with a museum in his hometown and two others in Moscow.
Banned by the current Ukrainian authorities due to writings published a century ago criticizing nationalism, the author was never banned during his lifetime in the USSR! A sociologist specializing in both countries ironically remarks, «what the Soviets never dared to do, Ukraine is doing today
At 11:30, the prosecutor must end the interview. He needs to change and catch the bus to work, which starts promptly at 1:21 PM. Vadym smiles one last time, «I don’t quite understand this schedule

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Écrit par Emmanuel Bouard

Vadym Redko était l’un des magistrats les plus influents d’Ukraine avant l’invasion russe. Réfugié en Lorraine avec sa famille depuis trois ans, il ne pourra jamais retourner dans son pays. Abandonné par les autorités ukrainiennes, il est également dans le viseur de l’occupant.

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Sur la seule chaise de son appartement trône un gilet bleu nuit aux couleurs de la Poste. Vadim Redko se réjouit : «jai fini ma période d’essai, je suis officiellement en CDI depuis le 8 février«. L’ancien procureur de la Cour d’appel de Marioupol trie des caisses de courrier à Pagny-les-Goins, entre Metz et Nancy : «c’est comme à l’usine, un travail à la chaîne. Le courrier arrive dans des bacs et pendant huit heures on doit le conditionner«. 35 heures par semaine pour 1500 euros par mois. Il paye son loyer, et ne touche plus aucune aide au titre de la protection temporaire. Son objectif désormais : «obtenir une carte de séjour, grâce à mon CDI«.

Tous les Ukrainiens que je connais en France occupent des emplois non qualifiés, dans le ménage, l’entretien ou des travaux physiques pour les hommes

Vadym Redko, ancien procureur de la Cour d’appel de Marioupol

Nous l’avions rencontré à son arrivée en France au printemps de 2022. En vacances en Pologne au moment de l’invasion russe, il avait échappé à la destruction de Marioupol et trouvé refuge en Lorraine  à Pont-à-Mousson, grâce à un bus affrété par la mairie.

Trois ans après, le CV de l’ancien haut magistrat a gagné une dizaine de lignes. Chauffeur-livreur, maraîcher, vendeur en grande surface, maçon, installateur de panneaux photovoltaïques… Le père de famille a saisi toutes les offres. Celui qui vivait avec sa femme et ses quatre enfants dans une villa cossue du quartier de Vostok à Marioupol a tout perdu. L’ancien fonctionnaire exprime sa gratitude envers la France pour leur aide à lui et sa famille. Il souligne que c’est grâce à ses amis français qu’il a pu acquérir des appareils électroménagers essentiels. Cependant, malgré sa maîtrise du français, il se retrouve sans emploi qualifié et ne peut pas mettre à profit ses compétences dans son domaine d’expertise. Sa situation délicate est le reflet des tensions persistantes en Ukraine depuis son indépendance. Vadym Redko se trouve maintenant en France, son seul refuge, incapable de retourner dans son pays d’origine en raison des événements récents.

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