Témoignages. «Les entreprises abusent du système», auto-entrepreneur, un statut dévoyé Créer son activité et être indépendant. Depuis sa création en 2008, le statut d’auto-entrepreneur concerne aujourd’hui 1,6 million de personnes en activité. Dans bien des cas cependant, ce statut n’est pas choisi, mais imposé par des entreprises qui en tirent profit. Le pas est lent et laborieux. Dans son village d’Hérouville en Vexin, Esla Carpentier fait sa balade quotidienne. Cela fait un an et demi que cette auxiliaire de vie, qui passait son temps à aider les autres, a désormais besoin d’une canne. «Avant je faisais de la natation, de la moto de la course pied. Mais maintenant je ne peux plus. Les douleurs arrivent très rapidement. Je prends sur moi et rentre au bout de 30 minutes ou une heure maximum.» En octobre 2023, après que Pôle emploi a mis en ligne son CV, une plate-forme de mise en relation entre entreprises et auto-entrepreneurs la contacte et lui propose aussitôt du travail dans un EHPAD. Au téléphone, la dame lui confirme bien que c’est de l’intérim, prend ses coordonnées, lui demande tous les papiers nécessaires. A aucun moment, elle ne mentionne le statut d’auto-entrepreneur. Pensant être salariée, Elsa commence le travail. Mais quelques jours plus tard, en accompagnant une patiente aux toilettes, celle-ci se raidit et lui tombe dessus. Dans sa chute, Elsa se tord le genou et se fissure la rotule. Lorsqu’elle rappelle la plate-forme pour déclarer son accident du travail et demande une fiche de paie, on lui répond qu’elle est auto-entrepreneuse. Mais elle n’a jamais été auto-entrepreneuse. Un an et demi plus tard, Elsa ne peut toujours pas travailler et ne touche donc aucun revenu, à part la retraite de son mari, car le statut ne la couvre pas contre les accidents du travail. Elle finit par déposer plainte contre la plate-forme, mais la procédure pourrait n’aboutir qu’en 2027. Maître Kevin Mention, son avocat, s’est spécialisé dans les litiges entre micro-entrepreneurs et plate-formes. Depuis 15 ans, les dossiers s’accumulent dans son cabinet. Il a observé le dévoiement de ce statut au fur et à mesure qu’il se répandait dans le monde du travail. «Historiquement, l’uberisation commence avec les VTC, ou des personnes, parfois indépendantes, vont travailler dans des conditions du salariat. Peu de temps après, c’est au tour des coursiers de devenir auto-entrepreneurs. Et ce statut s’est répandu dans toute notre société. J’ai maintenant des dossiers de demande de requalification en salariat pour des caissiers chez Monoprix par exemple, des serveurs, ou des personnes à la plonge dans des restaurants. Ce sont des métiers où l’on voit qu’il n’y a aucune marge d’indépendance.» À la barre, la difficulté est de prouver le lien de subordination. Pour chaque client, l’avocat compile un classeur de messages écrits, ou de documents exigeant du salarié la présence sur le lieu de travail, le respect des horaires, des temps de parcours, ou des ordres, tendant à prouver ce lien. En février 2020, il fait condamner Deliveroo définitivement pour salariat déguisé et harcèlement moral. Mais quelques années plus tard, l’entreprise est à nouveau sur le banc des accusés. En février 2025, un procès en appel se tient aux Prud’hommes de Paris. Les entreprises abusent du système, l’auto-entrepreneur, un statut détourné. La cour doit une nouvelle fois se prononcer sur le statut de 31 anciens coursiers. Sont-ils des prestataires indépendants comme le prétend Deliveroo, ou des salariés subordonnés avec un contrat de travail, comme le plaide l’avocat ? Après l’audience, les avocats de la plate-forme n’ont pas souhaité s’exprimer, mais deux anciens livreurs témoignent, en conservant l’anonymat. «J’ai fini à 103h par semaine, nous explique l’un d’eux. C’était très difficile en termes de conditions de travail. J’ai eu 10 accidents dont 2 graves. J’ai un handicap aux 2 genoux, le bras cassé et un problème de cloison nasale qui me fait faire de l’apnée du sommeil. Au début, il y a un appât du gain, où on nous proposait une somme généreuse. Et progressivement, ils ont baissé les tarifs, pour finir par employer n’importe qui, c’est-à-dire, au final des sans-papiers.» Un autre de ses collègues, s’est, lui, fait rayer de la plate-forme définitivement, après avoir déclaré qu’il avait le COVID, durant la pandémie. Aucune explication n’a suivi. «Pour le Covid, le protocole prévoyait un arrêt de 15 jours. Mais je pense qu’ils en ont profité pour me rayer parce qu’ils n’étaient pas contents que je pose des questions sur les conditions de travail. Ils préfèrent des simples exécutants à ceux qui tentent de faire valoir leurs droits. Mais le système de planning faisait que nous devions accepter les créneaux qu’ils nous proposaient ou alors, nous avions moins de travail la semaine suivante. Je n’avais que cet employeur et ça a été brutal.» En 15 ans le statut s’est répandu dans toutes les couches de la société. On en compte près de 1,6 million en activité. En 2024, le Crédoc publie une étude pour tenter d’y voir plus clair dans la population de micro-entrepreneurs. «Il en ressort qu’il n’y a pas de profil-type, explique Laurent Hily, conseiller au CPSTI (conseil de protection sociale des travailleurs indépendants), commanditaire de l’étude. « Il y a autant de femmes que d’hommes, de séniors que de jeunes. Mais pour une majorité d’entre eux, il est clair que le statut est un complément de revenu, et ils exercent une activité à côté. Pour la grande majorité, ce sont des personnes qui ont choisi d’être indépendantes et de créer leur activité. Mais effectivement, dans les secteurs en tension, il y a un glissement, vers ce type de statut, qui a fini par entrer en concurrence avec l’intérim. » « On estime à 200.000 le nombre d’auto-entrepreneurs qui pourraient être requalifiés en contrat de travail, estime pour sa part Grégoire Leclerc, président de la fédération des auto-entrepreneurs. Il faut contrôler mieux, faire de la pédagogie, et faire un peu plus peur à ceux qui abusent délibérément du régime, sinon ça va continuer. Et on doit rendre le système aussi protecteur que si l’auto-entrepreneur était salarié. Il y a un phénomène de bascule de l’intérim vers l’autoentreprise. Les jeunes acceptent d’autant plus facilement qu’ils veulent plus de flexibilité et de liberté et préfèrent l’immédiat au futur. Ils sont attirés par l’appât du gain, mais oublient qu’ils ne sont pas du tout couverts sur les risques. » En termes de revenus, la situation est contrastée : en 2022, selon la même étude, le revenu annuel moyen d’un auto-entrepreneur est de 7 500 euros, contre 39 200 euros pour les entrepreneurs individuels classiques. Dans leur écrasante majorité, 71 % des auto-entrepreneurs estiment que la protection sociale obligatoire est insuffisante. Un quart d’entre eux n’a pas de complémentaire santé, et jusqu’à 38 % chez les moins de 25 ans. « Il y a des trous dans la protection, poursuit Grégoire Leclerc, notamment dans les retraites, la protection chômage, et les accidents du travail. Il faut améliorer les cotisations retraites, sinon on aura une bombe dans 30 ans. Pour le chômage c’est assez complexe : le gouvernement a peur d’une fraude massive, et les auto-entrepreneurs ne sont pas prêts à payer plus.» L’essor de ce statut va de pair avec l’émergence des plates-formes de mise en relation entre travailleurs et entreprises, dans la foulée d’Uber. Click and Care, Frichti, Brigad, Extracadabra, Wecasa, Deliveroo, et bien sûr Uber Eats. On y vante ses atouts : simplicité, opportunité et revenus potentiels. Pour les entreprises, les cotisations et les risques reposent sur le travailleur. C’est donc bien plus avantageux que l’intérim. À la création de ce statut en 2009, l’idée était plutôt de favoriser l’entrepreneuriat, lutter contre le chômage et le travail non déclaré. 15 ans plus tard, pour la chercheuse en sciences sociales Sarah Abdelnour, le statut porte en lui une philosophie de sortie du salariat. En 2017, cette universitaire de Paris-Dauphine publie un livre «Moi, petite entreprise, les auto-entrepreneurs, de l’utopie à la réalité», fruit d’entretiens réalisés sur la base du répertoire des entreprises de l’INSEE. «Pour moi, le problème est massif. Sur tous les auto-entrepreneurs que j’ai rencontrés, très peu avaient le projet initial de créer leur activité. La très grande majorité a accepté ce statut qui leur a été imposé, alors qu’elles cherchaient à la base du travail. Le statut est devenu un instrument de recrutement, qui permet de payer la main-d’œuvre sans payer les cotisations sociales, sans les contraintes comme les procédures de recrutement ou de licenciement. C’est du salariat déguisé et c’est ce qui explique le succès du dispositif», note-t-elle. La chercheuse observe également l’effet de déversement de l’intérim vers ce statut, à travers les portails en ligne, qui attirent les demandeurs d’emploi vers les secteurs de la restauration, de l’aide à la personne, ou la garde d’enfants par exemple, mais en leur imposant ce statut. Le travailleur perdant ainsi tous les acquis du salariat. «L’uberisation, c’est un piège, c’est le cancer du monde du travail», estime pour sa part Jérome Pimot, ancien livreur Deliveroo, aujourd’hui reconverti comme agent d’accueil dans une mairie. Il a fondé le Clap, collectif autonome des livreurs de plates-formes, et s’occupe encore, dans son temps libre, d’accompagner les livreurs dans leurs démarches. «En 2008, c’était censé donner du travail à ceux qui n’en avaient pas. Au début c’était ça. Les abus du statut d’auto-entrepreneur : un système exploité par les entreprises

Creating one’s own business and being independent. Since its creation in 2008, the status of self-employed entrepreneur now concerns 1.6 million people in activity. In many cases, however, this status is not chosen, but imposed by companies that benefit from it.

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The pace is slow and laborious. In her village of Hérouville en Vexin, Esla Carpentier takes her daily walk. It has been a year and a half since this home care assistant, who used to spend her time helping others, now needs a cane.

«I used to swim, ride a motorcycle, and run. But now I can’t anymore. The pains come very quickly. I push through and come home after 30 minutes or maximum one hour.»

In October 2023, after Pôle emploi posted her CV online, a platform connecting companies and self-employed entrepreneurs contacted her and immediately offered her work in a nursing home.

Elsa Carpentier in her village

© Mélissa Genevois

«On the phone, the lady confirms that it’s temporary work, takes my details, asks for all the necessary papers. At no point does she mention the self-employed status.» Thinking she was an employee, she starts work. But a few days later, while assisting a patient to the toilet, the patient stiffens and falls on her. In the fall, Elsa twists her knee and fractures her kneecap.

«When I call the platform to report my work accident and ask for a paycheck, they tell me no, that I am self-employed. But I have never been self-employed.» A year and a half later, Elsa still cannot work and therefore receives no income, except for her husband’s retirement, as the status does not cover her against work accidents. She eventually files a complaint against the platform, but the procedure may not be resolved until 2027.

Maître Kevin Mention, her lawyer, specializes in disputes between micro-entrepreneurs and platforms. For 15 years, cases have piled up in his office. He has observed the misuse of this status as it has spread in the world of work.

«Historically, the Uberization started with VTCs, where individuals, sometimes independent, work in employment conditions. Shortly after, it was the turn of couriers to become self-employed. And this status has spread throughout our society. I now have cases of requests for requalification as employees for cashiers at Monoprix, for example, servers, or people washing dishes in restaurants. These are professions where we see that there is no margin of independence.»

On the stand, the difficulty lies in proving the subordination relationship. For each client, the lawyer compiles a binder of written messages or documents requiring the employee’s presence at the workplace, adherence to schedules, travel times, or orders, aiming to prove this relationship.

In February 2020, he successfully convicted Deliveroo for disguised employment and moral harassment. But a few years later, the company is once again in the dock. In February 2025, an appeal trial is held at the Paris Labor Court. La cour doit à nouveau se prononcer sur le statut de 31 anciens coursiers. Sont-ils des prestataires indépendants comme l’affirme Deliveroo, ou des salariés subordonnés avec un contrat de travail, comme le soutient l’avocat ?

Après l’audience, les avocats de la plate-forme n’ont pas souhaité commenter, mais deux anciens livreurs ont témoigné, en gardant l’anonymat.

«J’ai fini à 103 heures par semaine,» nous explique l’un d’eux. «C’était très difficile en termes de conditions de travail. J’ai eu 10 accidents dont 2 graves. J’ai un handicap aux deux genoux, le bras cassé et un problème de cloison nasale qui me fait faire de l’apnée du sommeil. Au début, il y avait un appât du gain, où on nous proposait une somme généreuse. Et progressivement, ils ont baissé les tarifs, pour finir par employer n’importe qui, c’est-à-dire, au final des sans-papiers.»

Un autre collègue s’est fait radier définitivement de la plate-forme après avoir déclaré qu’il avait le COVID, durant la pandémie. Aucune explication n’a suivi. «Pour le Covid, le protocole prévoyait un arrêt de 15 jours. Mais je pense qu’ils en ont profité pour me rayer parce qu’ils n’étaient pas contents que je pose des questions sur les conditions de travail. Ils préfèrent des simples exécutants à ceux qui tentent de faire valoir leurs droits. Mais le système de planning faisait que nous devions accepter les créneaux qu’ils nous proposaient ou alors, nous avions moins de travail la semaine suivante. Je n’avais que cet employeur et ça a été brutal.»

En 15 ans, le statut s’est répandu dans toutes les couches de la société. On en compte près de 1,6 million en activité. En 2024, le Crédoc publie une étude pour tenter d’y voir plus clair dans la population de micro-entrepreneurs. «Il en ressort qu’il n’y a pas de profil-type,» explique Laurent Hily, conseiller au CPSTI, commanditaire de l’étude. «Il y a autant de femmes que d’hommes, de séniors que de jeunes. Mais pour une majorité d’entre eux, il est clair que le statut est un complément de revenu, et ils exercent une activité à côté. Pour la grande majorité, ce sont des personnes qui ont choisi d’être indépendantes et de créer leur activité. Mais effectivement, dans les secteurs en tension, il y a un glissement vers ce type de statut, qui a fini par entrer en concurrence avec l’intérim.»

«On estime à 200 000 le nombre d’auto-entrepreneurs qui pourraient être requalifiés en contrat de travail,» estime pour sa part Grégoire Leclerc, président de la fédération des auto-entrepreneurs. «Il faut contrôler mieux, faire de la pédagogie, et faire un peu plus peur à ceux qui abusent délibérément du régime, sinon ça va continuer. Et on doit rendre le système aussi protecteur que si l’auto-entrepreneur était salarié. Il y a un phénomène de bascule de l’intérim vers l’autoentreprise. Les jeunes acceptent d’autant plus facilement qu’ils veulent plus de flexibilité et de liberté et préfèrent l’immédiat au futur. Ils sont attirés par l’appât du gain, mais oublient qu’ils ne sont pas du tout couverts sur les risques.»

En termes de revenus, la situation est contrastée : en 2022, selon la même étude, le revenu annuel moyen d’un auto-entrepreneur est de 7 500 euros, contre 39 200 euros pour les entrepreneurs individuels classiques. Dans leur écrasante majorité, 71 % des auto-entrepreneurs estiment que la protection sociale obligatoire est insuffisante. Un quart d’entre eux n’a pas de complémentaire santé, et jusqu’à 38 % chez les moins de 25 ans.

«Il y a des trous dans la protection, poursuit Grégoire Leclerc, notamment dans les retraites, la protection chômage, et les accidents du travail. Il faut améliorer les cotisations retraites, sinon on aura une bombe dans 30 ans. Pour le chômage c’est assez complexe : le gouvernement a peur d’une fraude massive, et les auto-entrepreneurs ne sont pas prêts à payer plus.»

L’essor de ce statut va de pair avec l’émergence des plates-formes de mise en relation entre travailleurs et entreprises, dans la foulée d’Uber. Click and Care, Frichti, Brigad, Extracadabra, Wecasa, Deliveroo, et bien sûr Uber Eats. On y vante ses atouts : simplicité, opportunité et revenus potentiels. Pour les entreprises, les cotisations et les risques reposent sur le travailleur. C’est donc bien plus avantageux que l’intérim.

À la création de ce statut en 2009, l’idée était plutôt de favoriser l’entrepreneuriat, lutter contre le chômage et le travail non déclaré. 15 ans plus tard, pour la chercheuse en sciences sociales Sarah Abdelnour, le statut porte en lui une philosophie de sortie du salariat.

En 2017, cette universitaire de Paris-Dauphine publie un livre «Moi, petite entreprise, les auto-entrepreneurs, de l’utopie à la réalité», fruit d’entretiens réalisés sur la base du répertoire des entreprises de l’INSEE. «Pour moi, le problème est massif. Sur tous les auto-entrepreneurs que j’ai rencontrés, très peu avaient le projet initial de créer leur activité. La très grande majorité a accepté ce statut qui leur a été imposé, alors qu’elles cherchaient à la base du travail. Le statut est devenu un instrument de recrutement, qui permet de payer la main-d’œuvre sans payer les cotisations sociales, sans les contraintes comme les procédures de recrutement ou de licenciement. C’est du salariat déguisé et c’est ce qui explique le succès du dispositif,» note-t-elle.

La chercheuse observe également l’effet de déversement de l’intérim vers ce statut, à travers les portails en ligne, qui attirent les demandeurs d’emploi vers les secteurs de la restauration, de l’aide à la personne ou la garde d’enfants par exemple, mais en leur imposant ce statut. Le travailleur perd ainsi tous les acquis du salariat.

«L’uberisation, c’est un piège, c’est le cancer du monde du travail,» estime pour sa part Jérome Pimot, ancien livreur Deliveroo, aujourd’hui reconverti comme agent d’accueil dans une mairie. Il a fondé le Clap, collectif autonome des livreurs de plates-formes, et s’occupe encore, dans son temps libre, d’accompagner les livreurs dans leurs démarches.

«En 2008, c’était censé donner du travail à ceux qui n’en avaient pas. Au début c’était ça. But very quickly, when people like me started to understand the scam and began to organize, demonstrate and give interviews, they started to recruit guys from the neighborhoods, who were less discerning. And when they too started to understand the scam, because the rates were dropping, these platforms went to look for undocumented migrants.»

Among the clients of lawyer Kévin Mention, there are more and more undocumented workers indeed. «Sometimes I work but I don’t get paid», explains one of them, who wishes to remain anonymous, as he is required to leave French territory, despite having a permanent contract in the restaurant industry. In 2021, he easily signed up on one of these matchmaking platforms, to work for a while as a dishwasher.

«When I signed up, they didn’t ask me for the right documents. They exploited me properly. The tasks they give us, you can’t refuse them, otherwise you won’t have a job anymore. You’re not independent. They always make you work on difficult tasks. Only undocumented workers do them. For the hours, it’s up to the restaurant to declare, but often they don’t count the overtime hours. They take advantage of you,» he denounces. With several colleagues in the same situation, he eventually filed a complaint as well.

It’s not all bad either, and the status is generally favored by the most educated proportion who, bringing expertise or know-how, can afford to choose their clients and impose some conditions.

Mickaël Perrin is one of those «privileged,» as he sometimes says. This computer developer designs websites and meets the specific needs of businesses or individuals. For several months now, he has been working on managing agricultural productions for cooperatives, which need to digitize their practices. «I work 4 days a week, and charge 500 euros gross per day, which allows me to earn 3500 to 4000 when things go well.»

Mickaël Perrin chez lui devant son ordinateur

© Mélissa Genevois

But holidays are not paid, nor is the time spent prospecting and looking for clients. There can be periods of emptiness, during which he has no income. «As soon as there is a small hiccup, it can become a bit complicated.»

«Ultimately, it’s not just the financial side of things. There’s also the quality of life that this status allows me. I wouldn’t say no to being an employee all my life, but I see myself organizing myself more, rather than being in an office where I’m told what to do. My life is well balanced, and I am much more creative in my work,» he affirms.

The early career wasn’t as idyllic. The companies he worked for could impose conditions similar to employment: set hours, presence in the office. «But with a few years of experience, you learn to choose your clients better, to agree with them better. It still exists, even if I was able to avoid it in the end,» Mickaël Perrin points out.

In France, legal procedures are quite rare. «Youth have a different relationship with the company and don’t question it,» continues Grégoire Leclerc, from the Federation of Self-Employed Workers. «They file very few complaints because they think they’re doing this for two months or two summers, and then they’ll move on.»

«Companies, on the other hand, take advantage of this system, especially those that have a lot of difficulty recruiting. They go for the simplest option, because otherwise they would close certain departments, certain time slots, or take more time to finish projects. It’s a societal phenomenon that needs to be approached from a global perspective, not just from the perspective of social protection,» he adds.

Créer son activité et être indépendant. Depuis sa création en 2008, le statut d’auto-entrepreneur concerne aujourd’hui 1,6 million de personnes en activité. Cependant, dans de nombreux cas, ce statut n’est pas volontairement choisi, mais plutôt imposé par des entreprises qui en tirent profit. Sont-ils des travailleurs indépendants comme le prétend Deliveroo, ou des salariés subordonnés avec un contrat de travail, comme le plaide l’avocat?

Après l’audience, les avocats de la plate-forme n’ont pas souhaité s’exprimer, mais deux anciens livreurs témoignent, en conservant l’anonymat.

«J’ai fini à 103 heures par semaine, nous explique l’un d’eux. C’était très difficile en termes de conditions de travail. J’ai eu 10 accidents dont 2 graves. J’ai un handicap aux deux genoux, le bras cassé et un problème de cloison nasale qui me fait faire de l’apnée du sommeil. Au début, il y a un appât du gain, où on nous proposait une somme généreuse. Et progressivement, ils ont baissé les tarifs, pour finir par employer n’importe qui, c’est-à-dire, au final des sans-papiers.»

Un autre de ses collègues s’est, lui, fait rayer de la plate-forme définitivement, après avoir déclaré qu’il avait le COVID, durant la pandémie. Aucune explication n’a suivi. «Pour le Covid, le protocole prévoyait un arrêt de 15 jours. Mais je pense qu’ils en ont profité pour me rayer parce qu’ils n’étaient pas contents que je pose des questions sur les conditions de travail. Ils préfèrent des simples exécutants à ceux qui tentent de faire valoir leurs droits. Mais le système de planning faisait que nous devions accepter les créneaux qu’ils nous proposaient ou alors, nous avions moins de travail la semaine suivante. Je n’avais que cet employeur et ça a été brutal.»

En 15 ans, le statut s’est répandu dans toutes les couches de la société. On en compte près de 1,6 million en activité. En 2024, le Crédoc publie une étude pour tenter d’y voir plus clair dans la population de micro-entrepreneurs. «Il en ressort qu’il n’y a pas de profil-type, explique Laurent Hily, conseiller au CPSTI (conseil de protection sociale des travailleurs indépendants), commanditaire de l’étude. « Il y a autant de femmes que d’hommes, de séniors que de jeunes. Mais pour une majorité d’entre eux, il est clair que le statut est un complément de revenu, et ils exercent une activité à côté. Pour la grande majorité, ce sont des personnes qui ont choisi d’être indépendantes et de créer leur activité. Mais effectivement, dans les secteurs en tension, il y a un glissement, vers ce type de statut, qui a fini par entrer en concurrence avec l’intérim. »

« On estime à 200 000 le nombre d’auto-entrepreneurs qui pourraient être requalifiés en contrat de travail, estime pour sa part Grégoire Leclerc, président de la fédération des auto-entrepreneurs. Il faut contrôler mieux, faire de la pédagogie, et faire un peu plus peur à ceux qui abusent délibérément du régime, sinon ça va continuer. Et on doit rendre le système aussi protecteur que si l’auto-entrepreneur était salarié. Il y a un phénomène de bascule de l’intérim vers l’autoentreprise. Les jeunes acceptent d’autant plus facilement qu’ils veulent plus de flexibilité et de liberté et préfèrent l’immédiat au futur. Ils sont attirés par l’appât du gain, mais oublient qu’ils ne sont pas du tout couverts sur les risques. »

En termes de revenus, la situation est contrastée : en 2022, selon la même étude, le revenu annuel moyen d’un auto-entrepreneur est de 7 500 euros, contre 39 200 euros pour les entrepreneurs individuels classiques. Dans leur écrasante majorité, 71 % des auto-entrepreneurs estiment que la protection sociale obligatoire est insuffisante. Un quart d’entre eux n’a pas de complémentaire santé, et jusqu’à 38 % chez les moins de 25 ans.

« Il y a des trous dans la protection, poursuit Grégoire Leclerc, notamment dans les retraites, la protection chômage, et les accidents du travail. Il faut améliorer les cotisations retraites, sinon on aura une bombe dans 30 ans. Pour le chômage c’est assez complexe : le gouvernement a peur d’une fraude massive, et les auto-entrepreneurs ne sont pas prêts à payer plus. »

L’essor de ce statut va de pair avec l’émergence des plates-formes de mise en relation entre travailleurs et entreprises, dans la foulée d’Uber. Click and Care, Frichti, Brigad, Extracadabra, Wecasa, Deliveroo, et bien sûr Uber Eats. On y vante ses atouts : simplicité, opportunité et revenus potentiels. Pour les entreprises, les cotisations et les risques reposent sur le travailleur. C’est donc bien plus avantageux que l’intérim.

À la création de ce statut en 2009, l’idée était plutôt de favoriser l’entrepreneuriat, lutter contre le chômage et le travail non déclaré. 15 ans plus tard, pour la chercheuse en sciences sociales Sarah Abdelnour, le statut porte en lui une philosophie de sortie du salariat.

En 2017, cette universitaire de Paris-Dauphine publie un livre «Moi, petite entreprise, les auto-entrepreneurs, de l’utopie à la réalité», fruit d’entretiens réalisés sur la base du répertoire des entreprises de l’INSEE. «Pour moi, le problème est massif. Sur tous les auto-entrepreneurs que j’ai rencontrés, très peu avaient le projet initial de créer leur activité. La très grande majorité a accepté ce statut qui leur a été imposé, alors qu’elles cherchaient à la base du travail. Le statut est devenu un instrument de recrutement, qui permet de payer la main-d’œuvre sans payer les cotisations sociales, sans les contraintes comme les procédures de recrutement ou de licenciement. C’est du salariat déguisé et c’est ce qui explique le succès du dispositif», note-t-elle.

La chercheuse observe également l’effet de déversement de l’intérim vers ce statut, à travers les portails en ligne, qui attirent les demandeurs d’emploi vers les secteurs de la restauration, de l’aide à la personne, ou la garde d’enfants par exemple, mais en leur imposant ce statut. Le travailleur perdant ainsi tous les acquis du salariat.

«L’uberisation, c’est un piège, c’est le cancer du monde du travail», estime pour sa part Jérome Pimot, ancien livreur Deliveroo, aujourd’hui reconverti comme agent d’accueil dans une mairie. Il a fondé le Clap, collectif autonome des livreurs de plates-formes, et s’occupe encore, dans son temps libre, d’accompagner les livreurs dans leurs démarches.

«En 2008, c’était censé donner du travail à ceux qui n’en avaient pas. Au début c’était ça. Mais très vite, quand des gens comme moi ont commencé à comprendre l’arnaque, et qu’on a commencé à s’organiser, faire des manifs et des interviews, ils sont allés chercher des mecs de quartiers, moins regardants. Lorsque les plates-formes ont réalisé que les tarifs diminuaient, elles ont commencé à recruter des migrants sans papiers. Parmi les clients de l’avocat Kévin Mention, de plus en plus de travailleurs sans papiers sont présents. Certains d’entre eux dénoncent l’exploitation dont ils sont victimes, travaillant sans être payés correctement et sans pouvoir refuser les missions qui leur sont attribuées.

D’un autre côté, le statut d’auto-entrepreneur est plébiscité par ceux qui apportent une expertise ou un savoir-faire spécifique, leur permettant de choisir leurs clients et d’imposer certaines conditions. Mickaël Perrin, un développeur informatique, en est un exemple. Il travaille pour des coopératives agricoles et facture ses services à un tarif élevé, ce qui lui permet de bien gagner sa vie.

Cependant, le statut d’auto-entrepreneur comporte également des inconvénients, comme l’absence de congés payés et les périodes sans revenu pendant lesquelles il faut chercher de nouveaux clients. Malgré ces défis, certains préfèrent ce mode de vie plus flexible et créatif par rapport au salariat traditionnel.

En France, les procédures judiciaires liées aux abus envers les auto-entrepreneurs sont rares, car beaucoup ne s’engagent pas dans des démarches légales, préférant changer d’activité. Les entreprises, de leur côté, profitent de ce système pour répondre à leurs besoins en recrutement, mais cela peut également mener à des abus et à des conditions de travail précaires pour certains.

Il est important de prendre en compte ce phénomène de société dans son ensemble et de ne pas se limiter à la protection sociale. Les auto-entrepreneurs doivent être conscients des risques et des avantages de ce statut, et être prêts à défendre leurs droits en cas d’abus. Cependant, dans de nombreux cas, ce statut n’est pas volontaire, mais est imposé par des entreprises qui en tirent profit. Sont-ils vraiment des prestataires indépendants comme l’affirme Deliveroo, ou des salariés subordonnés avec un contrat de travail, comme le soutient l’avocat ?

Après l’audience, les avocats de la plateforme n’ont pas souhaité commenter, mais deux anciens livreurs ont témoigné, en préservant leur anonymat.

«J’ai fini par travailler 103 heures par semaine, nous explique l’un d’eux. C’était très difficile en termes de conditions de travail. J’ai eu 10 accidents, dont 2 graves. J’ai un handicap aux deux genoux, le bras cassé et un problème de cloison nasale qui me provoque de l’apnée du sommeil. Au début, on nous attirait avec des sommes généreuses. Puis, ils ont progressivement baissé les tarifs, pour finir par embaucher n’importe qui, y compris des sans-papiers.»

Un autre collègue s’est quant à lui fait exclure définitivement de la plateforme après avoir déclaré qu’il avait le COVID pendant la pandémie. Aucune explication ne lui a été donnée. «Le protocole prévoyait une quarantaine de 15 jours pour le COVID. Mais je pense qu’ils en ont profité pour m’exclure car je posais des questions sur les conditions de travail. Ils préfèrent des exécutants dociles à ceux qui revendiquent leurs droits. Le système de planning nous obligeait à accepter les créneaux qu’ils nous proposaient, sinon on avait moins de travail la semaine suivante. J’avais uniquement cet employeur et la rupture a été brutale

En 15 ans, le statut de micro-entrepreneur s’est répandu dans toutes les couches de la société, avec près de 1,6 million de personnes en activité. En 2024, une étude du Crédoc tente de mieux cerner cette population. «Il n’y a pas de profil-type, explique Laurent Hily, conseiller au CPSTI, commanditaire de l’étude. Il y a autant de femmes que d’hommes, de personnes âgées que de jeunes. Pour la plupart, ce statut est un complément de revenu et beaucoup exercent une autre activité à côté. Mais dans les secteurs en tension, on observe un glissement vers ce statut, qui entre en concurrence avec l’intérim.«

« On estime à 200 000 le nombre d’auto-entrepreneurs qui pourraient être requalifiés en salariés, estime Grégoire Leclerc, président de la fédération des auto-entrepreneurs. Il faut mieux contrôler, sensibiliser et faire prendre conscience aux abusifs des conséquences. Il faut rendre le système aussi protecteur que pour les salariés. Il y a un glissement de l’intérim vers l’auto-entreprise. Les jeunes acceptent facilement pour plus de flexibilité et d’indépendance, attirés par les gains immédiats sans penser aux risques. »

En termes de revenus, la situation est contrastée : en 2022, le revenu annuel moyen d’un auto-entrepreneur est de 7 500 euros, contre 39 200 euros pour les entrepreneurs individuels classiques. La majorité des auto-entrepreneurs estiment que la protection sociale obligatoire est insuffisante. Un quart d’entre eux n’a pas de mutuelle, et jusqu’à 38 % chez les moins de 25 ans.

« Il y a des lacunes dans la protection sociale, poursuit Grégoire Leclerc, notamment pour les retraites, le chômage et les accidents du travail. Il faut améliorer les cotisations retraite pour éviter une bombe dans 30 ans. Pour le chômage, c’est complexe : le gouvernement craint la fraude massive et les auto-entrepreneurs ne veulent pas payer plus. »

L’essor de ce statut s’accompagne de l’émergence de plates-formes de mise en relation entre travailleurs et entreprises, à l’instar d’Uber. Click and Care, Frichti, Brigad, Extracadabra, Wecasa, Deliveroo, et bien sûr Uber Eats. Ces plates-formes vantent la simplicité, les opportunités et les revenus potentiels. Pour les entreprises, les cotisations et les risques sont supportés par les travailleurs, ce qui les rend plus avantageux que l’intérim.

À sa création en 2009, l’objectif du statut était de favoriser l’entrepreneuriat, lutter contre le chômage et le travail non déclaré. 15 ans plus tard, selon la chercheuse Sarah Abdelnour, ce statut encourage plutôt la sortie du salariat.

En 2017, cette universitaire de Paris-Dauphine publie un livre «Moi, petite entreprise, les auto-entrepreneurs, de l’utopie à la réalité», basé sur des entretiens réalisés à partir du répertoire des entreprises de l’INSEE. «Pour moi, le problème est majeur. La plupart des auto-entrepreneurs que j’ai rencontrés n’avaient pas pour projet initial de créer leur activité. La grande majorité a accepté ce statut qui leur a été imposé, alors qu’elles cherchaient simplement du travail. Ce statut est devenu un moyen de recrutement permettant aux employeurs de payer la main-d’œuvre sans cotisations sociales ni contraintes liées à l’emploi. C’est du salariat déguisé, et c’est ce qui explique le succès de ce dispositif,» note-t-elle.

Elle observe également un transfert de l’intérim vers ce statut, à travers les plateformes en ligne, attirant les demandeurs d’emploi vers des secteurs comme la restauration, l’aide à la personne ou la garde d’enfants, tout en leur imposant ce statut. Les travailleurs perdent ainsi les avantages du salariat.

«L’uberisation est un piège, c’est le cancer du monde du travail,» estime Jérome Pimot, ancien livreur Deliveroo. Il a fondé le Clap, collectif autonome des livreurs de plates-formes, et continue d’accompagner les livreurs dans leurs démarches.

«En 2008, cela devait créer des emplois pour ceux qui n’en avaient pas. C’était le but initial. Mais rapidement, lorsque des personnes comme moi ont compris l’arnaque, se sont organisées, ont manifesté et donné des interviews, ils ont recruté des personnes moins regardantes. Et quand les tarifs ont commencé à baisser, ces plates-formes ont également recruté des migrants sans papiers qui ont fini par comprendre la supercherie. Parmi les clients de l’avocat Kévin Mention, de plus en plus de travailleurs sans papiers témoignent de leur exploitation. Certains se plaignent de ne pas être payés malgré leur travail et dénoncent des conditions de travail difficiles imposées par les employeurs. Malgré cela, certaines personnes diplômées comme Mickaël Perrin parviennent à tirer leur épingle du jeu en tant que travailleurs indépendants, en choisissant leurs clients et en imposant leurs conditions. Cependant, la précarité reste présente, notamment avec l’absence de congés payés et les périodes de chômage. Les jeunes travailleurs ont tendance à ne pas porter plainte et à changer rapidement de situation professionnelle, tandis que les entreprises profitent de ce système pour pallier leurs difficultés de recrutement.

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